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Associations cantonales 16.03.2020

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Musique et liturgie catholique-romaine

Le GAC (sous-groupe de la Fédération Fribourgeoise des Chorales) peut se féliciter du nombre très important de participants, preuve qu’il y avait besoin de débat sur un sujet qui peut diviser.

Depuis le Concile Vatican II, la musique, sensée adoucir les mœurs, est au centre de débats parfois houleux entre prêtres et chefs de chœurs. « Le grégorien n’a plus sa place », « il ne faut chanter que dans la langue du peuple », « le chœur n’a pas le droit de chanter le credo », « il faut remplacer la polyphonie par de la musique rythmée (sic) » entre autres phrases parmi les plus entendues en restant dans les propos courtois. Il était temps, dès lors, de remettre l’église au milieu du village.

Après l’accueil de l’abbé Jean Glasson et d’Emmanuel Pittet, deux des têtes pensantes de l’organisation de cette journée, l’assemblée chante le Psaume 150 dont les paroles sont fort judicieuses pour le débat du jour.

PHOTO : Véronique Benz

Intervention de Philippe Robert

Philippe Robert a enseigné de nombreuses années l’histoire de la musique dans les Académies de musique de Liège et de Visé, en Belgique. Organiste de paroisse, ce spécialiste de la musique liturgique est également compositeur et il a collaboré au Missel noté de l’assemblée. Il nous rappelle l’importance de Dom Guéranger (1805-1875), moine bénédictin français, refondateur de l’abbaye de Solesmes et restaurateur de l’ordre des bénédictins en France. Celui-ci revient aux sources du chant grégorien, propose d’abandonner les traditions locales. Le chant grégorien est unifié, en quelque sorte, et il devient le chant romain. La façon de chanter prônée par Dom Guéranger et ses successeurs, cette esthétique de Solesmes correspond tout à fait à cette époque. On chante avec humilité, sans corps (le corps est suspect…), on plane. Ces recherches du milieu du 19ème siècle passent les murs des églises : bien des compositeurs se passionnent pour les modes grégoriens. En ce sens, Vincent d’Indy, entre autres, fait école. Lors des offices, dans le monde francophone, l’on a d’un côté le chant grégorien, interprété lors de la grand’messe, et les cantiques de l’autre côté, chantés lors des messes basses. Le cantique est avant tout catéchétique. La musique, lorsqu’on peut employer ce mot, en est souvent mièvre, la prosodie douteuse. Si fait qu’en 1945 il y a fronde contre ce type de musique. « Abandonnons le sentimentalisme et composons des musiques plus abouties dont nous n’aurons plus à avoir honte » disaient les intéressés de l’époque. Ce désir de renouveau du cantique se concrétise en 1946 avec le recueil Gloire au Seigneur.

Le 22 novembre 1903, le pape Pie X publie un Motu Proprio qui promulgue une importante « instruction sur la musique sacrée » destiné à faire autorité dans le domaine du grégorien et, plus généralement, de la musique d’église. Il y parle déjà de la participation de l’assemblée. Après la guerre 39-45, bien des mouvements de jeunes se mettent en marchent dans les paroisses.

En 53, l’on rechante des psaumes. Non pas que ce ne fut déjà fait en français, le psautier de Genève en est l’exemple, mais il s’agissait alors de paraphrases poétiques. Le prêtre-compositeur Gélineau, entre autres, prend les psaumes tels quels, non versifiés et les met en musique.

En 63, le Concile Vatican II met entre autres en exergue la parole en langue vernaculaire, tout en maintenant le chant grégorien.  C’est ce type de chant, stipule-t-il qui est le chant propre de la liturgie romaine. Les autres genres de musique sacrée, mais surtout la polyphonie, ne sont nullement exclues de la célébration pourvu qu’il y ait une étroite connexion de la musique avec l’action liturgique. En 69, le nouveau missel romain sort des presses. Le chant français rentre dans la messe chantée par le cantique.

Imprévue par le concile, la mode de la messe rythmée fait florès entre les années 60 et 70. Les fidèles louent Dieu accompagnés par guitares et batterie, sur des mélodies alors modernes qui sont influencées par la musique de variété.  La facilité d’enregistrement et de diffusion fait que la musique sacrée devient objet de consommation. Il y a dès lors une grande rupture entre les partisans des messes rythmées et les mouvements moins populistes. Puis de fortes réactions des traditionalistes.

Au gré des ans, le chant byzantin, les musique de la communauté de Taizé, et d’autres influences viennent enrichir la musique sacrée. Dès 1970, des communautés charismatiques apportent également de nouvelles façons de concevoir la musique sacrée. Nous sommes en présence de beaucoup de styles parfois éloignés et il y a quelques tentatives de synthèse. Le frère dominicain et musicien André Gouzes prend le contrepied de la messe rythmée, par en croisade contre l’animateur « chauffeur de salle ». On quitte alors un aspect horizontal de la musique pour retrouver un axe vertical. Ces tensions se poursuivent, toutes sortes de chapelles cohabitent au détriment d’une unité.

PHOTO : Véronique Benz

Intervention Jean-Jacques Martin

Le prévôt de la cathédrale de Fribourg, Jean-Jacques Martin, est également choriste. Durant de nombreuses années, les mélomanes ont pu le voir et l’entendre dans les rangs du chœur des XVI. Il décrit à l’auditoire les fondements de la musique liturgique dans le canton de Fribourg, par le biais de la musique chorale, avec des religieux-compositeurs très actifs et influents tant dans le domaine choral que dans le domaine liturgique. Joseph Bovet, Pierre Kaelin, Maurice Pasquier en sont des exemples connus auxquels ont peut ajouter des musiciens « profanes » tel Bernard Chenaux ou Oscar Moret. Les fidèles connaissant bien quelques-uns de ces chants, il n’est pas rare d’entendre les hommes de l’assemblée chantant la partie de soprano à l’octave inférieure en même temps que le chœur chante à 4 voix. Les règles d’harmonie en pâtissent, certes, mais, au moins, il y a participation. Alors… le chœur est-il encore nécessaire ? Selon l’abbé Martin, il serait suicidaire pour l’église de supprimer les pages de chant choral durant l’office. Grâce aux chefs de chœurs de mieux en mieux formés, grâce aux organistes, le niveau d’un office est élevé. Mais le vieillissement de tout ce monde chantant nécessite de repenser la place et le rôle des chœurs paroissiaux dans l’action liturgique. L’on constate toujours une querelle entre les partisans du seul chant des fidèles et ceux d’une messe-concert. Contre cela, il est nécessaire et vital de resserrer les liens entre les différents acteurs de la liturgie afin de mieux se comprendre. Les chorales sont nécessaires pour aider et éduquer l’assemblée, mais en apportant également leur propre répertoire. Cet apport est nécessaire. Mais lorsque la chorale n’est pas là, il arrive souvent que, là et seulement là, on entende chanter l’assemblée. Les chœurs sont donc nécessaires à la fois pour apporter leur propre répertoire en complément de ce que peut chanter l’assemblée. Ils sont nécessaires à la vie paroissiale, il est important qu’ils continuent à se réunir afin de vivre des fêtes de Céciliennes joyeuses permettant des rencontres de convivialité humaines et sociales.

PHOTO : Véronique Benz

2ème intervention de Philippe Robert

Après une mise en commun de questions et constats par les participants formé en petits groupes, Philippe Robert nous présent le document fondamental qu’est Musicam Sacram

Instruction du la musique sacrée. Elle fixe les normes principales qui étaient les plus nécessaires à l’époque de sa publication, en 1968, publication laborieuse qui a revu 11 fois sa copie, pour cause de querelles entre avant-gardistes et gardiens du répertoire traditionnel.  Quelle pertinence a pour nous cet opuscule d’une quinzaine de pages aujourd’hui ? Ce document n’ayant pas été abrogé, il est, dès lors, est encore en usage. La tradition est un trésor inestimable. Une musique sacrée est une musique en connexion avec la liturgie. Voilà quelque chose de nouveau. Le chant sacré est constitutif de l’action liturgique. La vraie fin est la glorification de Dieu et la sanctification des fidèles.

Mais la participation active de l‘assemblée est parfois source de problèmes… Les fidèles ne doivent pas être acteurs muets, ils doivent s’intéresser à ce qui se passe, le côté « chacun dans son coin » est terminé. C’est un droit, c’est un devoir par le fait que, par le baptême, le croyant participe pleinement, est greffé avec le mystère pascal. Cette notion de participation n’est pas une concession « parce qu’il faut bien ». Il faut faire en sorte que les gens au pluriel deviennent une assemblée au singulier. Le chant est un moyen de parvenir à cela. On ne peut rien voir de plus festif qu’une assemblée tout entière qui participe par le chant. Le document Muscam Sacram redéfinit le sens de la musique sacrée, mettant en avant son service de la liturgie. Une musique sacrée doit être constitutive de l’action liturgique. La musique renvoie à l’indicible : elle doit ouvrir les fidèles au mystère célébré. Il convient de ne pas chanter pendant la messe mais de chanter la messe.

Après un repas fort sympathique et animé, des petits groupes s’isolent afin de discuter des enjeux que les interventions du matin ainsi que Musicam Sacram font apparaitre pour l’avenir du chant sacré dans le canton de Fribourg. Les préoccupations de chaque groupe sont mises en commun et l’on constate que les mêmes questions se posent. En particulier sur le renouvèlement des membres de nos chorales, comment intéresser les jeunes ? Les membres de chœurs ne vont pas résister à un répertoire qui ne serait pas de qualité : il faut leur donner à manger. Entre clergé et musiciens, entre lecteurs et animateur, il y a différents niveaux de compétences et de connaissances qu’il convient de mieux partager. Le rôle important du directeur est de partager ses compétences liturgiques et musicales avec ses choristes. Les traditions sont difficiles à bousculer et, dans bien des paroisses, les fidèles ne chantent pas. Est-ce le problème du chœur si l’assemblée reste muette ? Il faudrait au moins copier les refrains ou les projeter ou, plus simplement donner les numéros des chants et que le prêtre ou l’animateur ou encore le chef de chœur se place devant l’assemblée afin de les inciter à participer vocalement.  Le manque de formation musicale de certains prêtres et le manque de formation liturgique de certains chefs sont parfois source de conflits.

À la lumière de cela, quels moyens pouvons-nous mettre en œuvre pour réaliser ces enjeux ?

  • Échange, dialogue entre les acteurs de la messe à améliorer.
  • Accueillir les gens qui arrivent : répéter les chants avant la messe avec l’assemblée.
  • Faire participer l’assemblée, certes, mais il faut qu’elle soit là !
  • Ouvrir la répétition avant messe à toute l’assemblée.
  • Formation indispensable, c’est un moyen d’avancer.
  • Reprendre sur une longue période le même refrain ou le même credo afin que l’assemblée puisse y participer

Philippe Robert remarque qu’il n’est pas dérangeant en soi que la chorale soit à la tribune, si elle ne constitue pas un monde à part. La messe est une œuvre commune que l’on prépare et célèbre ensemble. Le grand répertoire a été écrit pour une autre liturgie. Fait-on une œuvre musicale ou de la musique liturgique ? Cela n’empêche évidemment pas de placer une pièce plus savante au sein de la messe. Il faut prendre l’harmonie et le rythme de la liturgie comme un tout.

Chez les orthodoxes, il n’y a pas de problème : la musique sacrée est autre que la musique profane, il n’y a aucun doute. Il y avait, autrefois, cette même corrélation avec le grégorien. Maintenant, il est délicat de séparer le bon grain de l’ivraie avec de la musique style variété…

L’abbé Glasson clot : Il est doux d’être ensemble, souligne-t-il. De nombreuses réactions, prises de parole. Nous n’avons peut-être pas des réponses à toutes les questions mais nous avons d’autres questions supplémentaires qui nous permettent d’aller plus loin dans la réflexion.

Cette réflexion se poursuivra le 27 septembre entre 15 et 19 heures en l’église du Christ-Roi, à Fribourg avec un acte final liturgique et festif présidé par Mgr Charles Morérod, évêque du diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg.

Thierry Dagon et Yves Piller